mardi 28 décembre 2010

1ère nuit à Susya...

Voici Hadji Sara, d'un âge certain et un fort caractère (photo: anne skaardal)

Pour pouvoir être au plus près de la population, nous passons au moins 3 jours et 2 nuits par semaine dans les villages - campements au sud de Hébron. Avec ma collègue et amie Anne, nous nous souviendrons longtemps de notre première nuit à Susya...
A notre arrivée, le village était un peu anxieux et scrutait l'horizon, car sur la colline d'en face, à moins de 500m, se trouve la colonie Suseya, protégée par des soldats israéliens. Les militaires étaient anormalement actifs et nombreux. Notre personne de contact dans le village, Nasser, 40 ans, passait des coups de téléphone à tous les villages aux alentours pour les avertir. Toute la journée nous sommes restés sur nos gardes, mais rien ne se passa.
Nous avons joué au foot et à la lutte (sport très populaire en Palestine) avec les enfants, pris des leçons d'arabe et donné des cours d'anglais et surtout nous avons bu beaucoup de thés lors des visites aux familles. A cause de la langue, nous sommes restés avec les hommes, car seul Nasser parle bien l'anglais. Nous avons mangé avec eux, pendant que les femmes restaient dans la cuisine à nous regarder manger... Un peu embarassant, surtout que plus tard nous avons appris qu'elles mangent après nous les restes du repas... Si on avait su, on aurait peut-être moins mangé... Notre repas? Du pain fait maison avec des olives et du thon que nous avions apporté. A 20h, nous sommes allées nous coucher, avec un simple tapis de paille tressée sur un sol en béton en guise de matelas. Heureusement que nous avions apporté nos sacs de couchage car il fait froid durant la nuit sous une tente sans porte!

Nous nous endormons difficilement, nous avons un peu peur d'être attaquées par les colons car ils le font généralement la nuit. A 3h du matin, alors que nous dormions profondément, nous sommes réveillées par des cris. Naïvement, nous pensons que c'est l'heure de partir à l'école et que ce sont les enfants qui crient... Un peu mieux réveillée après 2 minutes, on comprend qu'il se passe quelque chose de grave. En pyjama (plus ou moins), accompagnées de quelques hommes, nous nous mettons à courir à travers les champs à la lumière des lampes frontales sans savoir ce qui se passe et où nous allons. Nous arrivons au campement de Hadji Sara, femme de tête de près de 80 ans. Sa tente ainsi que 2 autres sont en feu! On essaie de l'éteindre, mais sans eau, ce n'est pas évident, ce d'autant plus qu'un fort vent soufflait cette nuit-là. Les hommes du village essaient de l'éteindre avec des couvertures et les réserves de lait... Après 30 minutes, le camion de pompiers arrive, mais il est trop tard, tout a brûlé...

Une des trois tentes qui ont brûlé... 3h du matin...

La police israélienne arrive à son tour afin de déterminer ce qui s'est passé. Il est 4h du matin. Pourquoi la police israélienne alors que nous sommes en Palestine? Parce que le village se trouve en zone C, contrôlée totalement par les Israéliens. Après 1h de palabres, accompagné d'un thé chaud autour d'un feu de camp improvisé au milieu des champs, la police décide de revenir le lendemain pour collecter des preuves. Hadji Sara est sûre d'avoir vu quelqu'un s'enfuir en courant de sa tente vers une voiture. Elle accuse clairement un colon d'avoir mis le feu aux tentes. C'est déjà la 3e fois en 1 an... Il est 5h du matin, nous décidons de retourner nous coucher et de revenir le lendemain pendant l'enquête.

Le lendemain, la première chose qu'Hadji Sara nous demande est si nous avons filmé l'incendie (ce que nous avons évidemment fait). C'est très important pour elle car elle peut utiliser les images pour porter plainte. Elle souhaite aussi que nous diffusions ces images sur internet car elle veut que le monde entier sache ce qui se passe en Palestine.


Hadji Sara devant ses tentes détruites, accompagnée d'enquêteurs israéliens.

La police d'investigation arrive après quelques minutes et là, on se croit en plein NCIS! Des agents avec lunettes noires, une mallette à la main, des gants, des pinceaux à empreintes, des masques etc... alors que l'on est perdu au milieu des champs! Surréaliste! 

Après avoir assisté à l'interrogatoire de Hadji Sara, nous appelons le CICR afin qu'ils fournissent au plus vite (le jour même, très efficace!) des tentes et de la nourriture pour Hadji Sara et sa famille.

Nous ne saurons jamais ce qui s'est vraiment passé cette nuit là... Pour Hadji Sara et les habitants du village, cela ne fait aucun doute, il s'agit bien d'une attaque d'un colon... Pour la police, après enquête, le feu a pris dans la tente abritant la cuisine et un fort vent soufflait cette nuit-là. Une braise aurait pu reprendre...

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